Разбирая старые журналы, наткнулся на интересную статью в французском журнале Sciences et Vie Micro №13 за 1985 год про IT-технологии в СССР.
ENQUÊTE : COMMENT NOS ORDINATEURS PASSENT A L’EST
ИНФОРМАТИКА: НАЧАЛАСЬ ВОЙНА МЕЖДУ ВОСТОКОМ И ЗАПАДОМ*
* Informatique : la guerre Est-Ouest a commencé
Dans les pays de l’Est, l’informatique se trouve à la croisée des chemins. Mal connue, très différente du modèle occidental, elle est tiraillée entre une production d’ordinateurs très performants – mais fabriqués à quelques exemplaires pour les secteurs stratégiques – et des machines désuètes destinées aux autres applications. Disparités encore à l’intérieur du bloc de l’Est : la Hongrie et l’URSS sont capables de développer des systèmes modernes, alors que l’Albanie et la Roumanie ne dépassent guère le niveau des pays en voie de développement. Disparités toujours : les composants, micro-ordinateurs et télécommunications accusent un retard de cinq à dix ans, que compensent les réussites en matière de robotique, gros ordinateurs et satellites. La Chine, elle, s’ouvre franchement à l’informatique. Les constructeurs occidentaux et japonais font la queue à sa porte, attirés par ce fabuleux marché – légal – d’un milliard de consommateurs. La grosse et la micro-informatique y trouvent chacune leur compte. Les contrats affluent et, si la production nationale reste modeste, l’ambition ne manque pas : les exportations dépassent celles de l’Union soviétique… et une firme de Shanghaï s’implante dans la Silicon Valley ! Que cent micros s’épanouissent…
Par Hervé Provatoroff
С.С.С.Р.: НОВЕЙШИЕ ИССЛЕДОВАНИЯ ОТСТАЛАЯ ПРОДУКЦИЯ*
* U.R.S.S. : Une recherche en pointe, une production à la traîne.
Un parc de quelques milliers de micro-ordinateurs seulement, tombant souvent en panne, des prix dix fois supérieurs à ceux pratiqués en Occident, un réseau téléphonique inexistant, une absence presque totale dans la télématique : les pays de l’Est font figure de sous-développés des technologies de pointe. Des ordinateurs capables de guider des fusées, une production soviétique qui se situe au quatrième rang mondial, des savants dont les qualités sont universellement reconnues : les pays de l’Est se placent dans le peloton de tête.
Où est la vérité entre ces deux affirmations ? Probablement dans les deux à la fois. Cependant, on ne peut être sûr de rien lorsqu’on cherche à décrire cette industrie : les pays de l’Est entretiennent un flou savant autour de leurs réalisations et les informations nous arrivent par bribes.
On peut tout de même avancer quelques certitudes. Ainsi n’importe quel touriste se rendant en Union soviétique peut constater avec ahurissement la prolifération dans les magasins d’un instrument digne de l’Antiquité : le boulier. Les vendeuses utilisent une caisse enregistreuse, mais pour chaque achat, vérifient manuellement – à une allure vertigineuse, d’ailleurs – l’exactitude de l’opération sur un boulier. Cet héritage d’une tradition séculaire illustre le retard technique de l’industrie soviétique, mais il souligne surtout le retard des mentalités. Pourtant ce qui est vrai en Union soviétique se révèle faux en Hongrie, par exemple, où les terminaux de points de vente commencent à se répandre.
En URSS, un vaste débat sur l’informatique s’est engagé depuis cinq ans. Pas un mois ne s’écoule sans qu’un article ne paraisse dans la “Pravda”, les “Izviestia” ou “Literatournaia Gazeta” sur les bienfaits de l’ordinateur. La philosophie gouvernementale préconise de sauter une étape dans la modernisation : passer directement du travail manuel (encore 40 % de la population active) à la robotisation, sans recours à la machine-outil.
Une constatation s’impose d’emblée : les pays de l’Est ne cherchent pas à diffuser l’usage des technologies nouvelles dans leur population, qui d’ailleurs ne ressent pas cet engouement pour l’informatique si caractéristique de l’Occident. Ou plus exactement, le public est tenu à l’écart d’un domaine pouvant remettre en cause l’équilibre social. En effet, la technologie n’est pas conçue par les autorités comme un outil de communication favorisant la décentralisation et l’initiative, mais comme un instrument destiné à améliorer la production dans un système fortement centralisé. L’organisation socialiste ne permet pas l’éclosion de firmes comme Apple ou le foisonnement créateur de la Silicon Valley : les ordres viennent d’en haut et il faut se conformer aux objectifs du Plan. “Le retard de l’informatique est une légende, déclare un spécialiste des relations avec les pays de l’Est chez Bull. D’après mon expérience, les Soviétiques peuvent réaliser l’équivalent des ordinateurs occidentaux lorsqu’ils décident de tout mettre en œuvre pour atteindre ce but. Mais c’est toujours pour répondre à un besoin déterminé et souvent en petite série“.
Chacun sait qu’avec quelques microprocesseurs obtenus à l’Ouest par des moyens… détournés, il est toujours possible de fabriquer un seul ordinateur très performant. La difficulté réside dans l’industrialisation du procédé. Cette tendance est d’ailleurs implicitement confirmée par Anatole Boudionniy (voir interview p. 36 (статья приведена ниже)) lorsqu’il affirme que les laboratoires ne sont pas en retard – au contraire – sur l’Occident, tout en reconnaissant que les inventions ne se traduisent pas souvent par des productions de série.
Aussi des secteurs entiers sont-ils laissés de côté par les planificateurs. Les conséquences de ces choix sont difficiles à imaginer pour nos mentalités occidentales. Il n’existe par exemple, aucun micro-ordinateur vendu au grand public ou en contact avec lui en Union soviétique et la plupart des gens ne se doutent même pas de l’existence d’une telle machine.
Le paradis de la bureaucratie
L’informatique peut difficilement se développer à l’Est, car elle s’oppose à la logique même du système socialiste. Les pays de l’Est sont le royaume de la paperasse : l’homme y est utilisé en priorité, car il est moins coûteux. “Face à l’informatisation, les pays du Pacte de Varsovie sont pris dans une contradiction inhérente au système : augmenter la productivité tout en maintenant le plein emploi. Les autorités sont constamment à la recherche d’un juste équilibre, mais il est certain que la diffusion de l’informatique sera freinée dès qu’elle mettra en péril le plein emploi” affirme un spécialiste des relations Est-Ouest. Malgré les efforts de certains dirigeants pour sensibiliser les entreprises, on constate des attitudes de refus : la population a peur que l’ordinateur exerce un contrôle sur la vie quotidienne ou débusque les moins productifs.
Mais le gaspillage n’est pas dû à la seule inertie de la population, la bureaucratie y est pour beaucoup. “Troud”, le journal officiel des syndicats soviétiques, fournit des exemples dignes des romans de Kafka dans un article intitulé “L’ordinateur à la ferraille”. Il n’est pas rare de voir dans la rue, affirme-t-il, des équipements sophistiqués complètement rouillés, faute d’une affectation définie. L’épisode le plus spectaculaire s’est déroulé à l’usine agroalimentaire de Iaroslav : du matériel moderne d’une valeur de cinq millions de francs avait été livré en 1970 alors que l’usine n’était pas encore sortie de terre. La construction a demandé dix ans ! Inutile de dire que le matériel est ensuite parti directement pour la casse. Autre exemple : une usine de poissons surgelés de Léningrad commande une chaîne d’emballage automatique. Lorsque le matériel arrive, impossible de l’installer : le bâtiment est trop petit ! “Troud” estime que plus de 5 milliards de dollars de machines ultra-sophistiquées sont perdus par négligence, incompétence ou erreur de planification.
Dans un article récent de la “Pravda”, un haut fonctionnaire analyse les raisons de la mauvaise rentabilité des ordinateurs: par crainte de ne pas appliquer les directives du Plan, les directeurs d’usines commandent des ordinateurs, mais ils ne savent pas, bien souvent, à quelle tâche les affecter. Une fois l’ordinateur installé, on cherche les techniciens capables de le faire fonctionner, et ce n’est qu’ensuite qu’on se préoccupe de son utilité.
Autre raison: “L’informatique na pas encore trouvé sa place dans l’équilibre économique et dans le système de planification“, souligne le président de l’Académie des sciences d’Ukraine dans un autre article de la “Pravda”. Enfin, il faut rappeler qu’aucun diplôme d’informatique n’est décerné en Union soviétique. Les seuls qui s’en rapprochent sont ceux d’ingénieurs avec une spécialisation en fin de parcours. D’où un besoin vital de cadres, de techniciens pour la maintenance ou l’exploitation. Pourtant, ce manque constaté en URSS ne se retrouve pas dans d’autres pays satellites.
Des lacunes énormes
L’informatique est écartée de secteurs entiers. Les salariés, par exemple, sont payés en liquide et les chèques sont pratiquement inconnus de l’autre côté du rideau de fer. Des machines intégrant un minimum d’électronique et faisant partie de notre paysage quotidien sont totalement absentes des pays de l’Est. Leur liste est impressionnante : les distributeurs automatiques de billets, les photomatons, les jouets électroniques, les piles bouton, les montres à quartz, les réveil-radios, les balances électroniques, les chaînes hi-fi (l’URSS offre seulement l’équivalent des vulgaires Teppaz), les orques ou les guitares électriques, les répondeurs téléphoniques, les jeux vidéo, le vidéodisque, la carte à mémoire. Il convient de mettre un bémol à ce palmarès : ce qui est vrai à Samarkand ne l’est pas forcément à Moscou ou Budapest.
Une constante pourtant, la bureautique communicante avec réseaux locaux reste un concept inconnu. Il existe bien des machines à écrire électriques, mais elles ressemblent à nos bonnes vieilles Underwood des années cinquante… En URSS, pour des raisons de sécurité, elles sont toutes identifiables (oui, toutes) par un signe distinctif au niveau de la frappe.
Autre objet de curiosité, le photocopieur n’est pas accessible au grand public. On n’en trouve que dans les administrations (probablement un par ministère). L’usage de cet appareil est étroitement contrôlé et son utilisation à titre privé est punie par une loi : il peut servir à la diffusion de la littérature illégale.
D’autres domaines, en revanche, ont connu un fort développement : 91% des ménages soviétiques possèdent un téléviseur (c’est un moyen de communication pour faire passer les messages du gouvernement), score honorable face à 96 % en France par exemple. De même, 90% des foyers sont équipés d’un poste de radio (pratiquement 100% en France). En revanche, la vidéo est réservée à quelques privilégiés. Qu’on en juge : l’Electronika VM-12 au standard VHS, magnétoscope produit depuis août dernier au rythme de 200 unités par mois, est vendu 1 200 roubles (12 000 F, soit l’équivalent de sept fois le salaire mensuel moyen). Un premier modèle avait été fabriqué voici quelques années (coût : 20 000 F), mais il n’a jamais fonctionné, reconnaît le journal “Literatournaia Gazeta”.
Un équipement téléphonique moderne s’avère une des conditions du développement de l’informatique dans nos pays. Qu’en est-il en Union soviétique ? Le sous-développement est criant : 7,5 % des ménages seulement équipés contre 82 % en France et 97 % aux Etats-Unis. Les centraux téléphoniques utilisent une technologie dépassée (42 % seulement sont automatiques) et un tiers des lignes installées est réellement opérationnel.
Mais si elles s’intègrent dans les objectifs officiels, certaines technologies de pointe peuvent se développer. Ainsi, des banques de données reliées à des télex commençaient à apparaître sur un réseau d’une vingtaine de villes soviétiques, fin 83. La télévision par câble fait également ses premiers pas, de même que la fibre optique avec des expériences à Moscou et bientôt à Kiev, Riga et Gorki.
Informatique : priorité aux grands systèmes
En revanche, il n’est pas imaginable de concevoir un foisonnement de micro-ordinateurs dans les foyers soviétiques. Le prix d’Agat, la première machine made in USSR (17 000 dollars, près de 100 fois le salaire mensuel moyen) s’avère dissuasif pour le commun des mortels.
Le parc soviétique de micro-ordinateurs évoque plus un pays en voie de développement qu’une grande nation industrielle : 2 000 machines seulement, dont un millier d’Agat pourtant fabriqué depuis un an. Bien que l’informatique à l’école soit considérée comme une priorité, le programme soviétique prévoit l’installation de 5 000 micros seulement d’ici 1990. Encore une fois, ce phénomène ne saurait être étendu à tous les pays de l’Est: la Hongrie, qui possède un important parc de micro-ordinateurs dans les écoles, vient de sortir une machine 16 bits, ce qui dénote un retard de deux à trois ans.
Priorité des priorités pour la diffusion de l’informatique, les secteurs stratégiques. L’URSS est parvenue à assurer elle-même ses propres besoins dans les domaines jugés vitaux : l’espace, la recherche scientifique, l’armée et la sécurité intérieure.
Les efforts de recherche en Union soviétique se situent au tout premier rang mondial. On dénombre près de 60 % de plus de chercheurs qu’aux Etats-Unis et le montant des dépenses de chaque puissance est à peu près comparable. Les pays de l’Est sont réputés pour leurs savants hors pair, notamment en mathématiques et en physique. Cependant, le manque d’ouverture vers l’extérieur, la défiance dont ils font l’objet lors de visites en Occident les privent de nombreuses sources d’informations. De plus, les ressources sont souvent mal affectées, affirment les experts occidentaux. Et les résultats n’atteignent pas l’importance des moyens mis en œuvre : les pays de l’Est fournissent 53 % de l’effectif total des chercheurs des 28 pays les plus industrialisés, mais 36 % uniquement des brevets déposés au plan national.
L’URSS possède plus de 4 000 centres de calcul dont la majorité répond aux besoins militaires. L’armée, le KGB et l’industrie spatiale sont parfaitement équipés depuis qu’ils ont pris conscience de la nécessité de s’informatiser, à la fin des années 60.
Autre secteur privilégié pour l’informatisation : l’appareil industriel. Dans ce domaine encore, le retard est considérable. La productivité dans les pays de l’Est atteint à peine les deux tiers de celle de l’Occident alors que les effectifs sont en général de 20 % supérieurs.
Pourtant, l’URSS se situerait au troisième rang mondial pour le nombre de robots installés. Il est vrai que les usines produisent du matériel de première génération et les robots à commande pneumatique sont toujours les plus nombreux. La production soviétique entre 1981 et 1985 est estimée à 42 000 robots industriels et manipulateurs automatiques, tandis que le parc s’élèvera à 120 000 unités en 1990. Toutes les grandes usines possèdent des ordinateurs pour la gestion, mais chaque machine accomplit une tâche unique et simple (la paye, la gestion des stocks) sans qu’aucune interconnexion ne soit réalisée.
Il est très difficile de connaître les statistiques exactes de l’industrie informatique des pays de l’Est, car ces informations sont classées top secret. Cependant, les chiffres les plus fiables font état de 50 000 techniciens et 300 000 ouvriers en Union soviétique, 57 000 en Pologne. La valeur de la production serait de 11 500 dollars par homme et par an, soit environ six fois moins que chez IBM. On compterait moins de 200 000 ordinateurs moyens ou gros en URSS contre 6 millions aux Etats-Unis. La principale usine soviétique d’ordinateurs, située à Minsk, fabrique notamment une partie des Riad et des Minsk. Ces machines sont calquées sur la série 370 d’IBM, ce qui sous-entend un retard de huit à dix ans au niveau de la production de masse.
Les Soviétiques sont des autodidactes de génie, soulignent les industriels occidentaux : n’oublions tout de même pas que l’URSS et la RDA n’ont jamais travaillé sous licence – ce qui explique ce retard – alors que ce n’est pas le cas pour d’autres pays socialistes. La Roumanie à la fin des années 60 et la Hongrie en 1976 ont ainsi acquis des licences de CII ; la Tchécoslovaquie, celle de General Electric en 1968 ; la Pologne celle d’ICL et la Bulgarie celle d’une firme japonaise.
Une certaine répartition des tâches a été décrétée au sein des pays de l’Est, l’URSS se réservant la production des très grands systèmes – mais elle fabrique aussi l’ensemble de la gamme compatible IBM. D’ailleurs, chaque pays socialiste apparaît comme une succursale du géant américain : le EC1050 soviétique ressemble au 360-50, le EC1040 de la RDA au 360-40, la Pologne et la Tchécoslovaquie réalisent des ordinateurs moyens et petits de type 360-30, la Bulgarie fabrique les petits 360-20 et la Hongrie les minis (dont le Mitra de Bull sous licence) et des imprimantes.
La RDA est également spécialisée dans la petite bureautique pour PME : depuis dix-sept ans, la firme Robotron présente au Sicob des facturières évoluées et vend chaque année 250 000 machines à écrire à l’Occident, dont 30 000 à la France. La Bulgarie possède de grandes compétences dans les périphériques (elle fabrique des disques de 200 Mo). En raison de son système politique différent, la Yougoslavie occupe une place à part et joue à fond le jeu de la coopération avec l’Occident : IBM est très présent et des licences ont été acquises auprès de NCR, Olympia, Olivetti, Sinclair et Honeywell.
Tous ces pays ont une industrie nationale des composants. Les Soviétiques, dont la production est estimée à un milliard de dollars, en sont au stade du microprocesseur 64 Ko, ce qui donne une idée de son retard, Selon un spécialiste de Control Data, l’URSS accusait un retard de trois ans en 1980 et copiait surtout des produits d’Intel (le 8080 est le frère jumeau du K5801K24 et la série des 3 000 tout à fait semblable à celle des K589). Le pays possèderait un catalogue de 400 modèles de semi-conducteurs – la majorité restant réservée aux systèmes d’armes – dont la qualité tend à s’améliorer. Face à ce retard, tous les moyens sont bons pour obtenir des renseignements.
РУССКИЕ УЖЕ НАС ОБГОНЯЛИ*
*Les Russes nous ont déjà devances.
ИСКЛЮЧИТЕЛЬНОЕ СВИДЕТЕЛЬСТВО НАУЧНОГО ПЕРЕЕХАВШЕГО НА ЗАПАД*
*Le témoignage exclusif d’un scientifique passé à l’Ouest
Le Steve Jobs sovietique existe, nous l’avons rencontré. Emigré à l’Ouest depuis un an, vêtu des pieds à la tête de vêtements en jeans (un tissu très rare en Union soviétique) ce spécialiste en micro-électronique a quitté son pays non pour des raisons politiques, mais pour trouver en Occident un emploi à sa juste valeur. L’accueil en France a été plutôt froid. Pourtant Anatole Boudionniy a mis au point en 1970 une “ultra-mémoire” capable de stocker tous les livres publiés sur terre…
Lorsqu’on lui demande ce qui l’a poussé à quitter son pays, Anatole Boudionniy se lance dans un récit à peine croyable pour les gens qui ne connaissent pas le mode de vie soviétique. “A partir de 1966, j’ai été ingénieur en chef au Centre de micro-électronique de Ziélénograd, la cité scientifique près de Moscou, où j’élaborais des composants pour gros ordinateurs. Je travaillais avec un confrère, un nommé Zolotariev, membre du Parti et protégé par celui-ci. Pourtant du jour au lendemain, on lui a interdit de poursuivre ses travaux. Tout simplement parce que ses recherches le plaçaient un an avant celles menées aux Etats-Unis sur ce sujet. L’innovation est muselée en Union soviétique : les dirigeants sont timorés et n’osent pas ouvrir de nouvelles directions de recherches. Vous n’allez pas me croire, mais dans les centres de recherches soviétiques, des affiches placardées sur les murs affirment qu’il est interdit de mener des études ou de réaliser des prototypes qui n’aient pas d’équivalent en Occident. Mon ami était placé sous la surveillance d’un militaire et payé à ne rien faire : il a même obtenu une prime après avoir cessé complètement de travailler pendant plusieurs mois. Cependant, on lui a permis de reprendre ses recherches dès qu’on s’est aperçu que les Américains travaillaient dans le même sens“.
Cette mésaventure a fortement ébranlé le moral d’Anatole Boudionniy, d’autant qu’il lui est arrivé à peu près la même chose : “Au moment de soutenir ma thèse sur les éléments ultra-rapides pour ordinateurs, on m’a fait comprendre qu’il ne fallait plus travailler sur ce sujet. Lisant régulièrement les revues scientifiques américaines, je tombe sur l’exposé d’un savant utilisant la même technologie que moi, mais qui n’était pas encore parvenu à l’état d’avancement de mes travaux. Ayant montré cet article à mes supérieurs, j’ai été autorisé à poursuivre“.
Cette affirmation indiquerait-elle que les Soviétiques sont plus avancés dans certains domaines que les Américains? “J’en suis l’exemple vivant. Je peux même affirmer que mes travaux avaient dix ans d’avance sur ceux des Américains. En 1967, j’avais mis au point un nouveau type de circuit intégré et j’ai constaté tout récemment qu’un produit similaire de la firme américaine AMD offrait des rendements inférieurs. Il est vrai que mon prototype n’a jamais été produit en série pour des questions d’organisation. Cependant, je suis opposé à la copie de la technologie occidentale, dont la conception générale est inférieure à la nôtre. J’ai 250 idées de produits aussi intéressants que ce circuit intégré dans mes cartons, mais on ne m’a pas laissé les développer“. Est-ce une intoxication d’un personnage manipulé par le KGB? Non ; il semble bien que Boudionniy soit l’un de ces rares savants dont le cerveau bouillonne d’idées. Témoin le champ très large de ses travaux, qui lui a valu de s’attirer les foudres de ses supérieurs en raison de son idéalisme et du non-conformisme de ses recherches. Une confrontation avec deux éminents spécialistes français a abouti à la conclusion que Boudionniy était un électronicien de haut niveau, mais qu’il ne faisait sûrement pas partie du petit cercle des scientifiques soviétiques de premier plan. Les experts français ont plutôt estimé qu’il représentait bien ce type de savant constamment à la recherche d’un nouveau système sans se préoccuper des applications concrètes. Ecoutons plutôt ce qu’il raconte de ses inventions.
“En deux mois, ici à Paris, je peux mettre au point une “ultra-mémoire” de 10 puissance 16 bits, ce qui représente 10 000 millions de millions de bits. Tous les livres publiés sur Terre, stockés sur une plaque de 2 500 mm², cela laisse rêveur, n’est-ce pas ? La taille de l’appareil lui-même est comparable à celle d’un téléviseur. Le procédé de lecture et d’écriture sur la plaquette est basé sur la technologie des faisceaux d’électrons. Lorsque j’ai présenté ce projet en Union soviétique, on ma clairement fait comprendre qu’il fallait abandonner cette voie, mais j’ai poursuivi mes travaux en secret. J’ai également mis au point vers 1969 un ordinateur à usage militaire n’utilisant pas l’arithmétique binaire. Ce système révolutionnaire est doté d’une puissance de calcul telle qu’il peut s’opposer à une attaque ennemie de 5 000 fusées distantes de 5 000 km. Il détecte 10 leurres lancés par chaque fusée, soit 50 000 cibles au total suivies en permanence. Devant l’incompréhension de mes chefs, j’ai décidé de quitter le pays“. Sortir d’URSS n’est jamais facile, surtout pour un scientifique travaillant dans un domaine stratégique. Boudionniy a été démis de ses fonctions en 1976 après avoir déclaré au Comité scientifique des brevets qu’il ne présenterait plus d’inventions. Sa déchéance sociale est alors spectaculaire : pendant trois ans, il exerce la digne fonction de manutentionnaire dans une fabrique de pain. En 1979, il monte en grade : électricien affecté à l’entretien à l’université de Moscou. Pendant ses heures de loisirs, il va à la bibliothèque de la Faculté des sciences pour se tenir au courant des dernières publications soviétiques et occidentales. Ayant perdu l’espoir de trouver un emploi intéressant en URSS, il décide de partir. Il trouve la solution en épousant en octobre 1982 une Française travaillant dans le milieu médical. Les Soviétiques ont-ils estimé qu’il faisait plutôt figure de doux dingue ou ont-ils pensé qu’il n’était plus au courant de secrets actuels ? Toujours est-il qu’ils le laissent sortir avec sa femme en juin 1983.
“Arrivé en France, je pensais que les firmes françaises ou américaines se disputeraient pour m’embaucher. J’ai fait passer 5 000 pages de documents par la valise diplomatique en France. Le Quai d’Orsay a pris contact avec moi et j’ai signé un papier lors de leur restitution. Chez moi, je me suis aperçu qu’il manquait certaines pages. Pas forcément les plus intéressantes, ce qui me conforte dans l’idée que les savants français ne sont pas capables de juger de l’importance de mes recherches. Jusqu’à présent, je n’ai pas rencontré beaucoup de scientifiques pouvant comprendre mes travaux. Nos méthodes sont très différentes : vos chercheurs sont trop spécialisés, ils ont une vue trop étroite d’un problème. En URSS, nous sommes formés pour examiner rapidement les conséquences d’un phénomène dans des domaines voisins. Cette adaptation résulte du manque d’informations, de techniciens, de produits de pointe que nous subissons. Je souhaiterais maintenant trouver les moyens de poursuivre mes travaux, en France voire aux U.S.A.”
Si on lui demande de parler de l’informatique en URSS, Boudionniy fournit des renseignements exacts qui ont été vérifiés par des experts français. Cependant, ses connaissances restent souvent vagues. Ainsi, il ignore la taille du parc d’ordinateurs et le nombre d’usines de composants. Cette indication révèle un goût de l’URSS pour le secret et un cloisonnement rigide qui semblent difficilement compatibles avec un développement harmonieux de l’informatique. La suite est très instructive.
“Nos composants sont d’aussi bonne qualité que les vôtres pour un taux de rejet équivalent. Il est exact que les militaires s’approprient les meilleurs, mais il n’existe pas de séparation entre la société civile et militaire : elles sont étroitement imbriquées. Ainsi, on ne trouve pas d’usine de composants travaillant exclusivement pour l’armée. Dans chaque usine, un représentant du ministère de la Défense sélectionne les meilleurs produits. A mon avis, les ordinateurs de l’armée ou du KGB sont soviétiques et, croyez-moi, ils sont fiables. En URSS, les usines changent souvent de production : près de Voronej, un établissement est passé de la fabrication de pâtes alimentaires aux transistors et l’équipe est restée la même. Cette transformation a eu une conséquence originale : l’usine était désormais moins contrôlée par l’armée. Vous savez pourquoi ? En URSS, toutes les machines fabriquant des pâtes sont certifiées par le ministère de la Défense, car on peut les modifier du jour au lendemain pour fabriquer de la poudre à explosif. Je peux aussi vous dire que les usines employant une cinquantaine de personnes ne possèdent pas leur propre ordinateur : un système central est partagé entre une dizaine d’établissements. Enfin je vous rappelle que l’informatique se heurte à de très fortes résistances, différentes de celles de l’Occident. L’ordinateur empêche la corruption et cela n’est pas bien accueilli dans certaines régions. Ainsi, un système automatisé de passage des examens avait été mis en place en Azerbaïdjan les enfants des ministres étaient loges à la même enseigne que les autres, ce qui n’a pas été du goût des dirigeants“.
АГАТ: СОВЕТСКАЯ КОПИЯ “АППЗЛ II”*
* Agat, la copie russe de l’Apple II.
Comment baptiser ce premier “micro” venu du froid qui, paraît-il, ressemble fort au célèbre Apple II ? Les Occidentaux, attendris, lui ont déniché ce délicieux sobriquet : “Petite pomme”. En russe, traduisez “Yablotchko”. Merci Berlitz ! Les Soviétiques, eux, préfèrent la sobriété et le nomment plus simplement “Agat”. Ce nouveau-né, made in USSR, devrait connaître une large diffusion au pays des Soviets. Mais, foin d’une commercialisation à grands renforts de publicité ! Agat est destiné, pour l’instant, à être massivement introduit dans le système d’enseignement, non sans susciter quelques remous d’ailleurs…
C’est l’organisation Elorg, habituellement chargée de l’achat, de la fabrication et de la vente des instruments électroniques, qui s’est chargée de présenter, lors d’une récente exposition commerciale internationale à Moscou, ce micro-ordinateur personnel. Le premier fabriqué en URSS, dit-on de source officielle.
Si l’on s’en tient à ses dimensions extérieures (celle d’un gros “attaché-case”), Agat se rattache plus à la gamme des ordinateurs transportables qu’à celle des “portables”. Son système de base est constitué de trois éléments : un écran de visualisation, une unité centrale et un clavier amovible. Le moniteur de visualisation couleur (un écran de 30 cm), doté d’une prise de sortie RCA, correspond aux normes Sécam, utilisées en URSS. Un cordon, d’une longueur d’un mètre, le relie par l’intermédiaire d’une prise DIN à neuf broches, à l’ordinateur. Quant au clavier, incliné de 15 degrés, il dispose de 33 touches comportant à la fois des caractères cyrilliques et latins. La touche RETURN est la seule qui soit légèrement plus large que les autres. Sur la droite du clavier, se trouve le bloc numérique, séparé du reste du clavier par une rangée de touches de fonctions.
Un lecteur de disquettes 5¼ pouces, incorporé à l’appareil, est situé à droite de l’ordinateur. Le système d’exploitation d’Agat est différent de celui de l’Apple II. De ce fait, il est impossible de démarrer Agat avec une disquette Apple – et vice versa. En revanche, on peut lire un fichier ou lancer un programme sur l’une ou l’autre machine, une fois chargé le système d’exploitation. Signalons enfin qu’on ne peut rajouter de lecteur de disquettes supplémentaire : Agat ne comportant, en effet, que trois sorties (mise à part celle du moniteur) : une pour l’imprimante, l’autre pour un magnétophone et une dernière pour le clavier. Quant au système de base, il est pourvu d’une mémoire vive de 64 Ko. Une bonne capacité pour ce type d’ordinateur, mais limitée par l’impossibilité d’y adjoindre des modules ou des cartes mémoire supplémentaires.
Agat peut fonctionner selon trois modes graphiques : haute, moyenne et basse résolutions. Au dire de ceux qui ont expérimenté Agat, le mode de programmation n’est pas sans évoquer celui de l’Apple II : ils soupçonneraient derrière les mémoires mortes d’Agat une variante russe de l’Applesoft.
Les concepteurs soviétiques auraient également utilisé un équivalent de l’Apple Tool Kit pour générer les caractères cyrilliques. D’après les quelques Occidentaux qui ont pu avoir accès à la machine, la vitesse d’ensemble du système serait inférieure de 20 à 30 % à l’Apple, pour des programmes comparables. Les mauvaises langues imputent ces ralentissements de la vitesse d’exécution aux médiocres performances des microprocesseurs ainsi qu’à l’architecture générale du système et au câblage.
Depuis quelque temps un certain nombre d’expériences d’utilisation d’Agat ont lieu en Union soviétique. Pour information, elles se déroulent sous l’égide de l’Institut d’informatique, lui-même dépendant du Centre de calcul de la filiale sibérienne de l’Académie des sciences de l’URSS ! Ouf ! Objet : les possibilités d’introduction de ce micro-ordinateur dans l’enseignement. Un système a été mis au point, intitulé “Chkolnitsa” (écolière en russe). Testé dans une école de Novosibirsk, il forme un ensemble de logiciels orientés vers la résolution de problèmes spécifiques à la classe. A chaque élève est attribué un écran de visualisation et un clavier. Le professeur, lui, dispose de l’ensemble de l’ordinateur, des disquettes et d’une imprimante. A tout moment, il peut faire apparaître sur un écran (et simultanément sur l’ensemble des écrans de la classe) le programme souhaité. Ou encore, poser une question spécifique à un élève, corriger une – ou plusieurs – réponse. Les élèves répondent par l’intermédiaire du clavier.
Exemple d’application : le programme “Arithmétique”, qui pose des opérations à résoudre. Un autre logiciel est destiné à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Baptisé “Le monde des objets”, il génère sur l’écran un objet. L’exercice consiste, pour l’élève, à écrire le nom de cet objet en frappant les bonnes lettres sur le clavier alphabétique. Dans l’autre sens, l’enfant peut écrire le nom de l’objet, définir ses principales caractéristiques (forme, couleur, etc.) et voir surgir, si la réponse est bonne, ledit objet dessiné sur l’écran.
La tortue et la fourmi
“Chkolnitsa” est conçu pour s’adapter à tous les niveaux scolaires. Par exemple, il demande au nouveau venu de commander un petit robot, représenté sur l’écran, et baptisé “Robik”. Celui-ci accomplira alors des tâches auxquelles les écoliers sont habitués : ouvrir ou fermer la fenêtre, effacer le tableau, prendre un stylo, ouvrir un cahier, etc. Un deuxième robot, “Mouravei” – (traduisez fourmi), enseigne, sous forme de jeu, les bases de la programmation. En fait, cette fourmi dessinée sur l’écran se comporte exactement comme la tortue de certains programmes “Logo”. A partir d’ordres frappés sur le clavier, l’élève dirige la fourmi : “En haut”, “A gauche”, “En bas”, “A droite”, etc. L’enfant évolue ensuite vers des ordres de plus en plus compliqués : “3 fois à gauche”, “2 fois à droite”, “Répète 3 fois à droite”, etc.
Au fil de l’épée
Passé ce stade des acquisitions fondamentales, le système propose des logiciels plus complexes. Ils portent, par exemple, sur l’enseignement des lois de Mariotte. Lors de l’étude de ces lois – qui, rappelons-le, régissent le comportement des gaz – le programme génère sur l’écran un piston dans un cylindre, un réservoir de gaz, un système de chauffage et de refroidissement. La touche N commande le branchement du chauffage du réservoir, la touche P le mouvement du cylindre dans le piston. En fonction des modifications introduites par l’élève dans le système physique, les mesures de température sont indiquées sur des cadrans spéciaux de l’écran. D’autres logiciels existent dans des matières scientifiques : chimie et technologie, par exemple.
Enfin, le logiciel “Rapira” (rapière en russe) s’adresse aux valeureux combattants fin prêts à la véritable programmation. En fait, “Rapira” est le langage principal de “Chkolnitsa”. D’après ses créateurs, ses possibilités dépassent des langages tels que l’Algol 60, le Fortran ou le Basic. Le calcul, le traitement des chaînes de caractères et le graphisme sont ses points forts. Extraire des racines d’équations, effectuer des calculs sur des fonctions, constituer un dictionnaire bilingue, construire des schémas électriques, etc., etc., ne l’effrayent pas le moins du monde. “Rapira” permet aussi – était-il besoin de le préciser – de maîtriser des objets mathématiques comme les ensembles. Enfin, pour ceux qui ne se satisferaient pas de ces compétences, il reste possible de lui adjoindre un logiciel évolué de graphisme, le bien nommé “Chpaga”. Traduisez, sans hésiter, épée. Sur ce front, l’utilisateur dessine directement sur l’écran, immortalise son (ses) œuvres grâce à l’imprimante, et réalise, s’il le souhaite, des animations. Une présentation de ces performances a eu lieu lors d’un congrès scientifique. Au programme des réjouissances : des films de caractère scientifique montrant la cinétique de radicaux libres, ou le comportement d’une paire d’électrons lors de variations du champ magnétique. De quoi rêver !
De quoi alimenter également les débats et autres discussions que soulève, en URSS, l’introduction de l’ordinateur dans les classes. Les questions et les réticences qu’elle suscite, autour de la relation école-informatique, ne sont d’ailleurs pas sans évoquer de “vieux” souvenirs, pour nous autres petits Français. Calculette ou pas, “micro” empêcheur de penser en rond, maîtres en péril, etc., font aujourd’hui les délices de la presse soviétique. “Pravda”, “Izvestia”, “Literatournaïa Gazeta” espèrent, redoutent, interrogent. Une expérience comme celle de Novosibirsk devrait cependant aider les intéressés à faire le point. D’ailleurs, les responsables de cette expérience “avant-gardiste” dressent aujourd’hui le bilan. Conscients qu’une telle approche de la pédagogie exigera du maître une meilleure connaissance de la programmation, ils préconisent que soit entreprise, dès maintenant, une formation poussée des professeurs à l’informatique. Une chose est certaine: cette question est loin de laisser ces derniers indifférents. Fin novembre 1984, les représentants de plus d’une centaine d’instituts d’enseignement pédagogique se sont réunis à Sverdlovsk, dans l’Oural, pour en débattre.
Cette rencontre était organisée par V. Jitomirski, titulaire de la chaire de Techniques de calcul de l’Institut pédagogique de cette même ville. Partisan d’une initiation précoce à la programmation – et ce, dès maintenant -, il souligne que les bambins d’aujourd’hui se trouveront demain en face d’ordinateurs ou de machines à commande numérique. Il suggère d’installer immédiatement dans les écoles des mini-ordinateurs ou de gros calculateurs de type “Mir” ou “Nairi”. Reste un problème majeur : quelles seront les modalités de cette réforme ?
L’informatique à l’école, certes. Mais, s’agitil de la seule intention des Soviétiques ? A cet égard, les Occidentaux ne disposent que de menus indices. Cependant, l’annonce d’Agat, faite par la toute gouvernementale organisation Elorg (dont la vocation est celle du commerce extérieur), et la publicité dans des revues à destination de l’étranger laissent supposer que les autorités soviétiques tâtent le terrain difficile de l’exportation. Ambition pour le moins périlleuse. D’autant qu’Agat coûte cher, très cher : 17 000 dollars (logiciels compris, il est vrai). Reste qu’Elorg a toute liberté de fixer les prix des produits “made in URSS” vendus sur les marchés extérieurs.
La puce à l’oreille
Quant au marché intérieur, on conçoit mal ce qui inciterait les Soviétiques à la diffusion grand public de micro-ordinateurs. Dans un contexte social étroitement cloisonné où la possession d’informations est synonyme de privilège et de pouvoir, comment pourraient être créés des réseaux de micro-ordinateurs, de banques de données privées ou d’accès aux banques publiques ? En admettant, de surcroît, que le réseau téléphonique fonctionne correctement…
Aujourd’hui, on ne trouve pas en URSS le moindre micro-ordinateur personnel en vente libre. Les perles rares sont soit importées d’Occident par une poignée de privilégiés, soit fabriquées par quelques spécialistes d’instituts scientifiques. Sans omettre les commandes très particulières des divers services spéciaux et militaires à l’étranger, sous couvert du plus opaque secret, mais le plus légalement du monde, et ce, depuis belle lurette. D’ailleurs, les Américains ont la “puce” à l’oreille : ils se sont aperçus que, moyennant quelques bricolages, leurs micro-ordinateurs étaient utilisés pour remplacer des véhicules de commandement bourrés d’électronique. En représailles, les Américains de la tendance “dure” (notamment Richard Perle, adjoint du ministre américain de la Défense et responsable de la politique de sécurité des échanges internationaux) préconisent l’embargo sur les exportations d’Apple II vers les pays de l’Est. Qui sait ? Yablotchko, “la petite pomme” y trouverait peut-être son compte…
Jean-René GERMAIN
ДВАДЦАТЬ ТЫСЯЧЕЙ ВОРОВ ТЕХНОЛОГИИ НА СЛЧЖБЕ МОСКВЫ*
*20 000 voleurs de technologie aux ordres de Moscou.
“En vendant notre technologie à l’URSS, nous vendons la corde avec laquelle elle nous pendra”, déclarait en 1982 Caspar Weinberger, chef du Pentagone. Nul ne songe à le nier, les pays de l’Est ont besoin d’ordinateurs, de composants, de robots ou de systèmes d’armes occidentaux, mais l’ampleur de cette dépendance divise les experts. Certains économistes affirment que l’URSS serait mise à genoux par un embargo total, d’autres estiment que ce pays ne pourrait rester dans la course technologique mondiale, mais parviendrait tout de même, en mobilisant toutes ses énergies, à développer de façon autonome des équipements sophistiqués. Ces spécialistes sont cependant unanimes : le pillage de la technologie occidentale économise des milliards de dollars à l’économie soviétique.
Importations légales ou illégales, lecture assidue des publications scientifiques occidentales, espionnage industriel, stages d’étudiants : l’acquisition du savoir-faire prend de multiples chemins. L’Ouest se retrouve face à un dilemme : laisser échapper sa technologie ou risquer de perdre des contrats prometteurs. Strictement réglementé et parfois même interdit pour certains produits, le commerce Est-Ouest représente suivant les pays environ 2 à 5 % des exportations occidentales (RFA en tête avec près de 6 %). La totalité des exportations vers l’Est se chiffre pourtant à quelque 35 milliards de dollars par an. Le transfert de ressources – technologiques Ouest-Est est généralement surestimé: il avoisine les 50 milliards de dollars depuis 1970, soit moins du cinquième du transfert en direction des pays en voie de développement non pétroliers. Notons que 6 % seulement des machines de produits manufacturés installés de l’autre côté du Rideau de Fer proviennent de l’Occident.
Les Soviétiques cherchent à s’approprier légalement le dernier cri de la technologie occidentale : les contrats d’importation prévoient systématiquement des échanges de techniciens et une réactualisation des équipements pendant cinq ans. Néanmoins l’assimilation du savoir-faire de l’Ouest n’est pas toujours aisée. Dans l’industrie chimique par exemple, fortement importatrice de matériel étranger, les Soviétiques se sont révélés incapables de copier les Occidentaux, souligne la C.I.A. Des délais de mise en exploitation d’une usine, correspondant généralement au triple du temps constaté en Occident, viennent aggraver ce phénomène. Parallèlement, les échanges avec l’Occident tendent à diminuer en raison d’un fort endettement de l’Est (70 milliards de dollars fin 82). Sans doute cela explique-t-il le regain d’affaires d’espionnage ou de commerce clandestin constaté ces derniers mois.
L’ère des “techno-bandits”
“Le KGB organise lui-même la contrebande de la technologie occidentale“, a accusé en 1983 le directeur des douanes américaines, fortes de 4 500 hommes chargés de surveiller les exportations vers l’Est. “Pour les services secrets soviétiques, ce pillage est une priorité plus importante que le renseignement militaire, quitte à payer 10 à 20 fois la valeur d’un équipement“, ajoutait-il en précisant que ses services avaient opéré 2 000 saisies de matériel sophistiqué destiné à l’URSS en 1982 et 1983.
20 000 “techno-bandits” ont été mobilisés par les Soviétiques, pour reprendre une expression du livre de trois journalistes britanniques, intitulé “Comment les Soviétiques volent la haute technologie américaine”. Le VKP, dirigé par le ministre soviétique de la Défense en personne, est chargé d’assurer la collecte des renseignements à l’Ouest. Il coiffe la section “T” du KGB (celle de l’espionnage industriel, dont le responsable est Victor Technikov), ainsi que le GKNT qui a pour mission de favoriser la coopération légale ou illégale, l’Académie des sciences (stages à l’étranger notamment) et le CRU (l’organisme de renseignement dans les ambassades).
Les “techno-bandits” ont souvent la tâche facile en Occident : les ordinateurs sont en vente libre, et des entreprises factices sont créées pour assurer l’importation. Selon un rapport secret américain parvenu entre les mains d’un journaliste de “Die Zeit”, les pays de l’Est ont mis en place une trentaine de sociétés aux USA (dont plusieurs dans la Silicon Valley) et 300 en Europe pour collecter la technologie occidentale. Les renseignements ou les petits matériels prennent souvent le chemin de la valise diplomatique.
Les opérations légales ne sont pas pour autant dédaignées. Ainsi, en février dernier, notre confrère britannique “Computer News” apprenait que l’URSS recrutait des programmeurs d’ordinateurs en Grande-Bretagne à raison de 1 400 $ par semaine. Une cinquantaine de spécialistes seraient déjà partis à Moscou pour travailler sur des IBM et des Vax de Digital. Il est certain que toutes les revues techniques sont systématiquement achetées et que l’URSS cherche à multiplier les stages d’étudiants soviétiques dans les universités et les entreprises occidentales. Les ordinateurs soviétiques sont réputés être de pâles copies des machines occidentales et la quasi-totalité de l’informatique était basée jusqu’à la fin des années 60 sur la technologie de l’Ouest. Ainsi la conception des Riad est la réplique des IBM 360 et 370. De même, le premier micro soviétique n’arrive pas à la cheville de son modèle, l’Apple II.
Les ordinateurs étrangers ne sont pas légion en URSS et la France peut se flatter d’être, avec les Etats-Unis, le premier pays pour le nombre de systèmes occidentaux installés (un tiers environ). Les exportations françaises d’informatique vers les pays de l’Est restent pourtant modestes (241 millions de francs en 1982, dont 110 millions pour l’URSS). L’un des contrats les plus importants a été la livraison par CII-Honeywell Bull de deux ordinateurs Iris 80 l’un pour l’agence Tass, l’autre pour l’Académie des sciences. D’autre part, Bull a fourni la licence de son mini-ordinateur Mitra à la Hongrie en 1974, et celle de l’Iris 50 à la Roumanie en 1968.
A la guerre comme à la guerre
Le matériel militaire, bien évidemment, est le premier enjeu de la guerre technologique. Les Soviétiques sont passés maîtres dans l’art d’y adapter la technologie civile occidentale. Il faut savoir qu’un matériel aussi banal qu’un Apple II est utilisé par l’armée américaine pour le lancement des fusées nucléaires (voir “Agat, la copie russe de l’Apple II”). Les Soviétiques sont en passe de rattraper leur retard : de 10 à 15 ans dans les années 70, il n’est plus aujourd’hui que de un ou deux ans. “Pratiquement toute la technologie que les Soviétiques obtiennent à l’Ouest est appliquée au domaine militaire“, affirme un rapport d’une sous-commission du Sénat américain. La micro-électronique, les lasers, les radars et les industries de précision américains ont permis aux Soviétiques d’avancer à pas de géants dans le secteur, avec un risque minimum et un coût dérisoire, poursuit l’étude. 150 systèmes d’armes soviétiques actuels sont intégralement fondés sur des recherches occidentales récentes, affirme le département américain de la Défense. “L’URSS déploie, parfois avant nous, des matériels basés sur nos études” déclare même un sous-secrétaire adjoint à la Défense. Plus de la moitié de la technologie des missiles SS20, notamment leur système de guidage ultra-précis, a été obtenu à l’Ouest. Le Pentagone souligne également que le bombardier stratégique soviétique Blackjack est le frère jumeau du B1-B américain et que l’avion de transport à décollage et atterrissage court Antonov 72 ressemble comme deux gouttes d’eau au Boeing YC-14.
Bel exemple du savoir-faire des Russes : les services de renseignement militaire américains ont récemment trouvé une bouée acoustique soviétique pour la détection sous-marine, dont le principal circuit intégré était la réplique exacte d’un équipement “top secret” fabriqué par Texas Instruments. De même, certains matériels légalement achetés sont ensuite utilisés à des fins stratégiques : à Kama, l’usine ultra-moderne de camions, équipée d’ordinateurs livrés par les Américains, a fabriqué des véhicules pour transporter les soldats soviétiques en Afghanistan.
Les plaques tournantes
La Suède, l’Autriche, la Suisse, la RFA, la Finlande sont les pays de prédilection des Soviétiques pour le passage illégal de la technologie occidentale à l’Est. La Suède est un terrain privilégié. En novembre 1983, un Vax 11/782 (valeur : 1,5 million de dollars) est saisi par la police de Hambourg quelques minutes avant son départ pour l’URSS via la Suède. Officiellement destiné à l’industrie du bâtiment, il aurait pu être utilisé pour le guidage de missiles. L’ordinateur de Digital avait été acheté par une firme de New-York, puis livré à une filiale en Afrique du Sud, pour être transporté à Hambourg d’où il devait partir pour la Suède. Trois personnes, Wolker Nast, Detlev Heppner et Manfred Schroeder, viennent d’être condamnés pour cette affaire à des peines allant de 14 à 22 mois de prison ferme et de 60 à 150000 F d’amende. Mais le cerveau du coup est en fuite. Il s’agit de Richard Mueller, figure connue des milieux de marchands de canons, surnommé M. Millions, qui dirige une cinquantaine de sociétés. L’une d’elles, Optronix, qui fait du traitement informatique, devait servir de couverture pour l’achat du Vax. Selon les trois journalistes britanniques qui ont publié un livre sur le vol de la technologie occidentale, Richard Mueller aurait déjà fait passer à l’Est plusieurs Vax 11/780…
La Suède a également fait parler d’elle lorsque l’homme d’affaires Sven Haakansson et un directeur du groupe Asea (robotique, électronique, etc.) ont fourni des équipements sophistiqués (valeur : 15 millions de francs sur un contrat total de 300 millions de francs), pour le laminoir d’Oskol, l’un des plus grands du monde. Haakansson a reconnu avoir sciemment réalisé cette opération pour l’URSS et avoue avoir touché de l’argent des Soviétiques. Pour cette opération, il aurait eu recours aux services de Richard Mueller. Depuis, Asea a eu maille à partir avec les firmes américaines qui lui fournissent l’essentiel de ses composants : curieusement les délais de livraison se sont allongés. Asea a également reconnu avoir octroyé des avantages en nature (voitures, logements et frais médicaux) à des membres de la représentation commerciale soviétique en raison de contrats importants signés dans les années 70.
Quoi de plus simple qu’une société d’informatique paravent pour importer des ordinateurs, comme le montre l’affaire Mueller. En Grande-Bretagne, du matériel qui devait probablement être expédié vers l’URSS, avait été acheté par Bryan Williamson, directeur d’un bureau d’études informatiques. Autre exemple, Leslie Klein, arrêté en avril 1984 pour contrebande d’ordinateurs Hewlett-Packard et Digital, faisait partie d’un réseau international dont quatre personnes travaillaient dans des firmes américaines d’informatique en Europe.
L’Inde serait également une plaque tournante. “Softwar”, le fameux livre de Thierry Breton, s’en fait l’écho mais une affaire – bien réelle celle-là – a éclaté en janvier 1984. Wang devait livrer des ordinateurs (valeur : 4,5 millions de dollars) à l’Inde par l’intermédiaire de la firme indienne Industrial Electronics. Wang a eu des soupçons sur la destination finale des machines lorsque l’entreprise a proposé de payer en Autriche avec une lettre de crédit yougoslave. Au cours de son enquête, Wang a constaté qu’Industrial Electronics n’emploie à New Delhi qu’une seule personne qui s’est refusée à fournir la moindre explication. Toujours en Inde, l’usine Rank Xerox de photocopieurs alimentera probablement l’URSS : des intermédiaires s’installent déjà. Le commerce illégal transite également par l’Autriche, pays dont les autorités ne collaborent pas aux enquêtes menées par les Etats-Unis, accuse “Wall Street Journal”. Après intervention des Américains et du Cocom, l’Autriche annonce en octobre dernier une modification de la législation : elle met au point une liste de produits “sensibles”.
Acquérir du matériel sophistiqué n’est pas suffisant, les Soviétiques veulent aujourd’hui des équipements de pointe. En août 1982, les autorités américaines saisissent un ordinateur prêt pour l’expédition vers l’URSS, capable d’interprêter des photos prises par les satellites espions. Le département américain du Commerce s’aperçoit alors avec étonnement que l’ordinateur avait été exporté le plus légalement du monde vers la Grande-Bretagne, détourné ensuite vers l’URSS, puis ramené sur sa terre natale pour améliorer ses performances. C’est alors qu’il fut saisi.
Le rôle du Cocom
Dans toutes ces affaires, le Cocom (voir ci-contre) joue un rôle de premier plan. Il intervient auprès des gouvernements pour leur rappeler les règles du commerce avec l’Est, comme il l’a probablement fait pour la Suède et l’Autriche. Depuis quelques mois, le Cocom tient à jour, avec une nouvelle rigueur, la liste secrète des produits soumis à embargo, liste qui couvre 3 à 5 % des exportations potentielles des pays occidentaux. Un millier de dérogations par an seraient accordées contre les quelles chaque membre possède un droit de véto. La liste vient encore de s’allonger après une réunion en juillet dernier : une nouvelle réglementation sur les ordinateurs – inchangée depuis 1976 -, les logiciels et les équipements sophistiqués pour centraux téléphoniques est appliquée avec sévérité. Les ordinateurs compacts style Grid Compass (utilisés dans l’armée américaine et bientôt dans l’armée française) sont interdits d’exportation. Les machines de plus de 42 Mo figurent désormais sur la liste rouge sans possibilité aucune de dérogation, de même que les superminis avec une mémoire de 500 Mo. L’ensemble du savoir-faire sur les ordinateurs – qu’ils soient interdits à l’exportation ou non – ne pourra pas être transféré à l’Est.
Une telle concertation n’a pas toujours été respectée. Le cas le plus frappant s’est produit en décembre 81 à propos de l’affaire du gazoduc euro-sibérien qui représentait des contrats de 40 milliards de francs pour les Européens (5 milliards pour la France, dont 1,8 milliard pour le système de télésurveillance fourni par Thomson). Quelques jours après le déclenchement de la crise polonaise, le président Reagan décrète unilatéralement un embargo sur les licences d’exportation pour les matériels technologiques de pointe, dont ceux destinés au gazoduc. Les Européens décident les uns après les autres de passer outre les injonctions du Cocom et livrent les équipements, soulignant qu’il n’est pas question de revenir sur des contrats déjà signés. Les Etats-Unis sanctionnent alors des firmes européennes travaillant sous licence américaine pour la production de matériels destinés à l’URSS. Devant le déluge de protestations – la France va même jusqu’à réquisitionner une firme -, les Etats-Unis lèvent l’embargo sur le gazoduc en novembre 1982. L’affront subi par les Américains ne se reproduira pas, car les décisions sont prises maintenant de façon plus concertée. Pendant cette prise, la France a été l’un des pays faisant le plus preuve de mauvaise humeur à l’égard de son allié d’outre-Atlantique et à même créé un organisme interministériel de surveillance des exportations vers l’Est pour tenter de s’affranchir de la tutelle du Cocom.
Cependant, tous les pays socialistes ne sont pas logés à la même enseigne. La Yougoslavie bénéficie d’un régime souple. Sinclair, par exemple, a pu installer une usine de montage de Spectrum, tandis qu’ITT coopère avec Iskra dans le domaine de l’ingénierie du logiciel, des équipements pour fibres optiques et centraux téléphoniques privés, dans la synthèse et la reconnaissance vocale et les composants. Le traitement de faveur est encore plus flagrant en ce qui concerne la Chine. Les dernières réglementations du Cocom sur les ordinateurs, les logiciels et les systèmes de communications ne s’appliquent pas à ce pays. La Chine s’est engagée à ne pas rétrocéder de matériel de pointe à des pays membres du Pacte de Varsovie. Cette attitude de la Chine est à l’origine d’un formidable développement des nouvelles technologies : une exception dans les pays socialistes.
СТРОЖАЙШИЙ КОНТРОЛ ЗКСПОРТА КОКОМ*
* Cocom : La police des exportations
Le Cocom (COordinating COmmittee for Multilateral Export Controis) est chargé de contrôler les exportations de haute technologie vers les pays de l’Est et d’interdire celles qui comportent des matériels stratégiques. Composé de 14 pays, les membres de l’Otan (à l’exception de l’Islande) et le Japon, le Cocom a son siège à Paris au 58 bis rue la Boétie. Aucune plaque ne permet d’identifier sa localisation dans cet immeuble de standing et l’organisme ne figure pas dans l’annuaire. Le Cocom, qui possède un budget annuel d’un million de dollars, s’est toujours entouré de mystère et n’a jamais fait connaître le nom des personnes qui le composent. Ses “porte-parole” spécifient toujours qu’ils gardent l’anonymat lorsqu’ils se risquent à quelques déclarations et ne répondent pratiquement jamais aux journalistes.
Le Cocom est né de la guerre froide, à la suite de l’embargo décrété par les Etats-Unis en 1947 sur les exportations de matériels “sensibles”. Créé en 1950, il a été mis en sommeil pendant la période de détente entre les deux blocs. Mais l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques et la crise polonaise ont propulsé cet organisme sur le devant de la scène. Les Etats-Unis ont alors été à l’origine d’une plus grande restriction sur les exportations. Cela n’a pas toujours été sans mal, car des divergences se font souvent jour entre le Pentagone et l’administration américaine d’une part, les industriels américains et les européens d’autre part. Ces derniers craignent de voir échapper un contrat intéressant, car il n’est pas rare qu’un autre pays profite de cette interdiction pour proposer son contrat.
Certains membres du Cocom (parmi lesquels figureraient des scientifiques, des membres de la CIA ou du Pentagone et des hauts fonctionnaires) se réunissent une fois par semaine, mais les séances plénières sont mensuelles. Elles ont pour tâche d’examiner la teneur des contrats avec l’Est et de dresser la liste des matériels interdits à l’exportation. On estime qu’elle concerne un millier de produits qui sont constamment modifiés pour tenir compte des progrès technologiques. La liste A concerne le matériel militaire, la liste B les équipements nucléaires et la liste C certains produits industriels (équipements pétroliers, ordinateurs, centraux téléphoniques). La législation nationale des pays membres doit être conforme aux règles édictées par cet organisme.